Lettre à ma grand-mère

Il y a des gens dans notre vie qui sont des piliers. Ils nous soutiennent beau temps mauvais temps sans trop que l’on ne s’en aperçoive. Ils restent droit pour nous alors que l’on traverse des tempêtes qu’ils ont eux-même bravées. Ils nous  indiquent le chemin sans trop que cela ne paraisse. 

C’est lors de leur départ que l’on se sent chavirer. Que l’on réalise l’ampleur de l’importance qu’ils avaient. L’ampleur du vide que leur absence crée. Il n’y a rien ni personne pour prendre leur relais, pour les remplacer, et nous restons en déséquilibre comme ça, un bon moment. Le temps de se guérir un peu le cœur, et non pas d’oublier. Le temps passe doucement, et c’est dans leurs souvenirs, dans leur héritage que nous trouvons la force de rebâtir par-nous même les piliers manquants, en remplissant le vide de souvenirs partagés, en le décorant à l’image de ceux que l’on a perdu.

Je le sais parce la vie a fait en sorte de me mettre en déséquilibre tôt. J’ai perdu des gens très proches que j’aimais de tout mon cœur d’enfant et d’adolescente. Pourtant, je te vois vieillir et ça me fait mal en dedans quelque chose de rare.
Je m’en veux tellement de m’être doucement éloignée de toi. D’avoir laissé entre nous s’immiscer une si grande distance. La vie s’est écoulée et il y a eu les études, les amis, les partys. Ensuite le travail, les enfants, la distance physique. Je m’en voulais de ne plus faire le trajet de deux heures pour venir te voir, puis de t’appeler moins souvent. Puis le « moins souvent » est devenu un « très rarement » et plus ça allait, plus je m’en voulais et moins je te téléphonais. 

Parce que j’avais honte. Je me sentais tellement mal. Parfois tu pleurais doucement au téléphone, et ça me tordait le cœur. Et j’appelais encore moins souvent parce que je m’aime dont pas quand je sais que je fais de la peine. Je te disais au revoir en te promettant de venir te rendre visite très bientôt, mais je n’ai pas très souvent tenu ma parole. Mon silence est fait de remords et le tien est lourd de reproches. 

Pourtant, tu as été présente pour moi comme peu de grand-mère le sont pour leurs petits-enfants. Tu n’as jamais eu de fille, et je suis arrivée si tôt dans la vie de papa que c’était un peu comme si j’étais la tienne aussi, celle que tu avais tant désirée. Avec toi j’ai toujours été libre d’être moi-même. J’adorais ta compagnie, j’étais chez moi avec toi. Je dormais plus souvent dans ton lit que dans le mien la fin de semaine. Ces souvenirs-là portent  la douceur de ta mousse de bain bleue, à l’odeur d’océan que tu mettais dans ton énorme bain pour moi. On se mettait les deux en jaquettes et on lisait chacune notre livre, avant d’aller se coucher ensemble. Et une fois la lumière fermée, je te racontais mes secrets de petite fille, à la lueur de ta veilleuse à la lumière verte. 

Et c’est lors de ces soirées que tu tenais à m’apprendre très jeune qu’une femme n’a pas besoin d’un homme pour réussir, ni pour être heureuse. Même si je n’ai pas compris tout de suite ce que tu voulais dire, je le sais maintenant. Et c’est ce qui me permet d’être aussi heureuse en amour. Je sais que je suis quelqu’un sans mon homme, mais je choisis d’être avec lui parce que je l’aime d’un amour sincère et non parce que j’ai besoin de lui pour exister. 

Tu n’auras pas été une petite grand-mère ordinaire. Tu n’auras jamais fait de tarte, ni tricoté. Mais c’est en partie grâce à toi que je suis ce que je suis : (braillarde), forte, libre, ouverte d’esprit et déterminée. À l’image de celle que tu aurais voulu être. J’ai toujours pensé que tu étais née à la mauvaise époque. Je me suis efforcée à vivre comme une femme de mon temps jusqu’à maintenant. Un peu, beaucoup, en ton honneur. Notre histoire n’aura pas été celle d’une relation parfaite, mais c’est la nôtre. Je le sais que tu m’aime. Tu le sais que je t’aime. C’est tout ce qui compte.

Mon amour de la lecture (et des chandails de chats, et du fleuri, et des jogging yo!) me vient définitivement de toi. Et je ne t’en remercierai jamais assez. À l’aube de l’adolescence, j’allais fouiller dans ton coffre de romans, véritable coffre aux trésors. Tu m’as enseigné qu’avec un livre on n’est jamais seul. Le premier que je t’ai emprunté, c’était Gabrielle. Le premier roman qui m’a fait rire et pleurer. Il a encore une odeur de fin d’enfance dans mon cœur. J’y ai découvert une passion pour les mots. Un amour pour l’histoire.

Aujourd’hui tu vieillis. Et je sais que je ne pourrai jamais rattraper le temps perdu. Je sais que mes regrets ne pourront rien y changer. J’aimerais pour le temps qu’il nous reste pouvoir faire comme si cette distance ne s’était pas installée entre nous. Je voudrais qu’on se mette en jaquette et dormir une dernière fois avec toi. Je voudrais avoir 10 ans, et ressentir encore que malgré que tu sois grand-mère 5 fois, j’ai une place toute spéciale dans ton cœur parce que je suis un peu à toi aussi. Mais avec mon absence et mes silences, je l’ai peut-être bien perdue ma place de choix.

La vérité grand-maman c’est que je ne sais plus comment la reprendre ma place auprès de toi. Nous ne sommes plus les femmes que nous étions, je ressens ta déception et ta tristesse et je ne sais pas comment y faire face. Ça me fait mal. Et je sens le temps qui passe. Je le sens glisser entre mes doigts comme du sable. Je vais devoir trouver une façon de faire face à mon chagrin de te voir vieillir, à mes remords de mauvaise petite-fille. J’espère que tu me pardonne. 

Un beau dimanche, bientôt, j’arriverai avec ma jaquette de chats et Gabrielle sous mon bras. Je lirai à voix haute mon plus beau souvenir d’enfance, notre amour pour les mots que tes yeux usés ne peuvent plus honorer. Notre amour l’une pour l’autre, que l’on est capable de s’avouer que par des mots empruntés. J’espère que tu as gardé ma place au chaud, qu’il n’est pas trop tard. 

Author: l’Emmèredeuse

L’emMÈREdeuse, c’est moi : Catherine.
Maman de deux (petits monstres) adorables garçons : Tom le dresseur de loups et Henri le Bébé Loup.
Je suis copropriétaire d’une famille recomposée remplie d’amour et de folie.
Ma plume prend parfois des chemins humoristiques, parfois des plus sérieux, mais toujours ceux de l’authenticité et de l’humilité.
Maman Louve à mes heures. Je partage avec vous les petits et grands moments de mon quotidien de maman.
De maman ben ordinaire.
Qui travaille à temps plein … Pis qui fait son gros possible.